Wednesday, August 17, 2005

DERRIÈRE LE RETRAIT DE GAZA

DERRIÈRE LE RETRAIT DE GAZA

Le démantèlement des colonies israéliennes de la bande de Gaza est bel et bien en voie de devenir réalité. Événement d’une importance historique s’il en est, ce retrait israélien ne doit toutefois pas nous faire perdre de vue certaines réalités qui meublent le quotidien des Palestiniens et Palestiniennes.

C’est notamment le cas en ce qui a trait à la manière d’expulsion israélienne. Alors qu’on fait appel à des soldats non armés spécialement formés à cet effet pour déloger les colons récalcitrants et leurs supporters, les Palestiniens, qui font l’objet d’expulsions récurrentes, voient quant eux dans bien des cas leurs maisons détruites, les évictions étant de plus menées généralement sans avertissement. Ces colons qui feront l’expérience du déracinement auront toutefois plus de veine que les Palestiniens puisqu’ils bénéficieront du support du gouvernement israélien. Léger contraste avec les millions de réfugiés palestiniens abandonnés bien souvent à leur sort depuis 1948.

Ainsi donc, ces colons installées sur des colonies jugées illégales selon le droit international recevront des compensations qui devraient osciller entre 150 et 400 000$. Mais quand l’armée israélienne démolit les maisons palestiniennes, déracine les plantations d’oliviers et détourne l’alimentation en eau, comme elle le fait régulièrement en Cisjordanie, les Palestiniens ne reçoivent rien et se retrouvent à la rue.

Aucune compensation non plus, comme le faisait remarquer la journaliste israélienne Amira Hass, pour les quelques 3200 Palestiniens qui travaillaient dans les colonies de Gaza et dont ni l’État ni leurs employeurs n’envisagent de les dédommager pour la perte de leur emploi. Ces travailleurs qui, faut-il le rappeler, n’étaient soumis à aucune réglementation du travail et dont la rémunération quotidienne oscillait généralement entre 40 et 80 NIS, le salaire minimum en Israël étant de 145 NIS.

Faut-il aussi rappeler que ce désengagement des colonies illégales de la bande de Gaza – de même que celui de quatre petites colonies de Cisjordanie – laisse encore quelques 120 colonies sous contrôle israélien en Cisjordanie. Certaines de ces colonies sont d’ailleurs appelés à prendre de l’expansion, comblant ainsi les pertes de colons de Gaza. Par exemple, la perte de 8000 colons à Gaza sera vite compensée par l’afflux de quelques 30 000 nouveaux colons à Jérusalem-Est. Et tout cela c’est sans compter la poursuite de l’édification du mur de sécurité israélien, surnommé à juste titre de « mur de l’Apartheid » par ses opposants et opposantes, dépossédant chaque jour le peuple palestinien de sa terre et découpant graduellement le territoire de la Cisjordanie en enclaves éparses, amenuisant de ce fait les chances d’édification d’un État palestinien viable.

Et en ce qui concerne la bande de Gaza elle-même, elle ne constitue pas nécessairement une grande perte pour Israël. Ne possédant aucun lieu religieux juif significatif et aucune ressource de grande valeur, la petite bande de terre pompait à Israël inutilement de nombreuses ressources. Le prix politique à payer pour le gouvernement Sharon ne sera probablement pas si élevé non plus. La réticence et féroce opposition au retrait d’une certaine frange de la société israélienne s’estompera probablement rapidement – ce qui serait fort possiblement différent dans le cas de la Cisjordanie. Quant au contrôle palestinien sur ce territoire, il risque d’être ardu. L’économie y est exsangue et les possibilités de relèvement dans les conditions actuelles sont plutôt sombres. Le peuple palestinien n’aura aucun contrôle sur ses frontières et Israël y conserve également le droit d’y conduire des opérations militaires pour rechercher des terroristes. Enfin, la décision unilatérale du gouvernement Sharon de quitter la bande de Gaza, sans le concours palestinien, fait en sorte que l’Autorité palestinienne ne fut pas préparée adéquatement pour assurer la gestion du territoire. Et avec les querelles qui vont fort probablement surgir entre factions palestiniennes – notamment avec le Hamas qui, soit dit en passant, reçoit un appui important dans la population palestinienne non pas parce qu’il fait sauter des bombes aveuglément, mais bien parce qu’il est dans certain cas le seul organe institutionnel à offrir des services à la population - il est fort à parier que l’on accusera les Palestiniens et Palestiniennes d’être incapables de se gouverner.

Car c’est un peu ce qu’a fait Sharon avec ce désengagement. L’attention à Gaza est maintenant tournée sur les Palestiniens eux-mêmes. Le processus de paix, lui, est en quelque sorte mis en veilleuse. Pragmatique, Sharon, en bon disciple qu’il est de l’ex-premier ministre israélien David Ben-Gurion, le rejoint dans sa pensée politique, ce dernier affirmant que l’État israélien n’a pas de frontières et que de ce fait l’atteinte d’un règlement final sur le statut d’Israël se doit d’être reportée continuellement. Le retrait permet donc à Sharon de gagner du temps, de faire preuve d’une soi-disant bonne foi, d’imposer son propre plan de paix et de solidifier son emprise sur un territoire beaucoup plus significatif : la Cisjordanie.

Le retrait de Gaza n’ouvre donc pas nécessairement la voie à une nouvelle ère d’optimisme où la région se retrouverait bel et bien engagée sur la voie de la paix. Le cauchemar du peuple palestinien est en effet loin d’être terminé. Mais reconnaissons tout de même ce précédent : ce retrait est historique dans la mesure où pour la première fois des colonies israéliennes en Palestine sont démantelées. Mais ne nous laissons pas aveuglé par les manœuvres de Sharon, lui qui fut jadis un des grands artisans de la colonisation israélienne, une colonisation qui se poursuit d’ailleurs à l’instant même sur les terres de la Cisjordanie. Un règlement de la question israélo-palestinienne sur des bases justes et équitables pour les deux parties n’est donc malheureusement pas pour demain matin.

David Murray

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