Sunday, October 16, 2005

BARRICK GOLD OU LA FOLIE DES GRANDEURS

Comme à l’époque faste de la colonisation espagnole où les minéraux du Nouveau Monde déferlaient sur l’Europe, l’Amérique du Sud revient sur le devant de la scène, elle qui connaît actuellement un boom considérable dans le secteur minier. Mais les divers projets qui parsèment la région sont loin de faire l’unanimité. C’est notamment le cas du projet de Pascua Lama, une mine à ciel ouvert à 4500 mètres d’altitude à la frontière de l’Argentine et du Chili.

Mené par la compagnie canadienne Barrick Gold, ce projet fait l’objet d’une opposition grandissante. D’entrée de jeu, la feuille de route de Barrick Gold ne fait rien pour rassurer. Parmi les plus importantes mondialement dans le domaine de l’or, cette compagnie est très active en Amérique du Nord, en Australie et en Afrique, en Tanzanie essentiellement, où on l’associe avec la mort de 50 mineurs. Elle ne s’est jamais privé de son droit de museler les journalistes osant la dénoncer (1) et ses liens avec la famille Bush sont bien connus. De 1995 à 1999, George W. Bush Sr. fut d’ailleurs « président honoraire » du « conseil consultatif international » de la compagnie, période durant laquelle il a avoué avoir permis l’instauration de lois favorables à la compagnie (2).

Mais dans le cas présent c’est surtout au niveau des conséquences environnementales que l’on s’inquiète. C’est que pour arriver à exploiter son nouveau projet, Barrick Gold envisage de déplacer des parties significatives de Toro 1, Toro 2 et Esperanza… trois glaciers andins géants, à coup de bulldozers et d’explosions contrôlées. La compagnie espère pouvoir les fusionner avec le plus imposant glacier Guanaco, situé à deux kilomètres de là. Ce projet de Pascua Lama, qui représente un investissement de près de 1,5 milliards de dollars, possède des réserves de près de 17,6 millions d’onces d’or et devrait permettre d’extraire quelques 750 000 onces d’or par année et ce, pour une durée de vie minimale de 21 ans.

Ce qu’on craint surtout, c’est que le déplacement des glaciers ait de graves répercussions sur les écosystèmes locaux. On craint notamment que cela ne tarisse les sources d’eau, alors que la région est aux prises avec des sécheresses récurrentes ces dernières années. La compagnie se défend en mentionnant que ces glaciers ne représentent que 0,5% des réserves d’eau de la région et que leur glace restera malgré tout dans le même bassin hydrique. Cette assurance de la compagnie s’avère cependant insuffisante pour plusieurs qui ne voient pas la situation du même œil. Comme l’affirme Lucio Cuenco de l’Observatoire latino-américain des conflits environnementaux, « Un glacier n’est pas seulement qu’un morceau de glace qu’on peut prendre et déplacer […], c’est partie intégrante d’un bassin hydrique et si vous le déplacer, vous perturbez cet écosystème (3) ».

La méthode d’extraction privilégiée fait aussi l’objet de craintes, méthode où « la roche est concassée et ramassée en monticules que l’on asperge, ensuite, d’une solution de cyanure de sodium ayant la propriété de détacher l’or de la pierre et qui s’écoule, le long des digues, dans des collecteurs (4) ».On craint les dangers de fuites de cyanure de sodium et de contamination de l’eau et des sols. C’est que même présent en petites quantités ce produit chimique est extrêmement toxique pour les humains et autres formes de vie. Les résidents et résidentes de la vallée Huasca ont d’ailleurs fait part au gouvernement chilien de leurs inquiétudes à ce sujet. Même si Vincent Borg, vice-président aux communications de la multinationale, affirme que la technique est sécuritaire, certaines organisations comme Mining Watch rappellent que la méthode n’est pas infaillible et que des accidents sont survenus par le passé (5).

Si ce n’était assez et confirmant la sensibilité du site, il appert que la zone minière appartenait initialement à une Réserve de la Biosphère officiellement reconnue par l’UNESCO. En 1994, ce statut particulier de la région fut retiré par le gouvernement de la province argentine de San Juan, avant qu’elle ne soit remise à la compagnie canadienne.

Faisant donc fi d’une opposition citoyenne croissante et d’avis environnementaux faisant état de craintes légitimes (6), Barrick Gold entend aller de l’avant avec son projet. Ayant l’appui des gouvernements chilien et argentin et vu l’investissement que le projet représente, l’extraction devrait ainsi commencer en 2009 tel que prévu. L’opposition au projet est toutefois toujours bien vivante et même si elle ne réussit pas à freiner le projet de la multinationale, elle pourrait permettre de susciter l’éveil pour les futurs projets de la région. Parce que malgré les promesses de retombées économiques nombreux et nombreuses sont ceux et celles qui se souviennent d’une période faste où l’extraction minière était reine sur le sous-continent, mais qui laissa d’amers souvenirs, comme cette Potosi jadis si riche qui « ne laissa que le vague souvenir de ses splendeurs, les ruines de ses temples et de ses palais, et huit millions de cadavres d’Indiens (7) ».

(1) Voir Laura FLANDERS. « Rule Britannia », disponible sur http://www.zmag.org/ZSustainers/ZDaily/2001-08/12flanders.htm.
(2) Glenn WALKER. « Barrick Gold Strikes Opposition in South America », disponible sur http://www.corpwatch.org/article.php?id=12447, 20 juin 2005.
(3) Cité dans idem. (traduction libre).
(4) Éric Desrosiers. « Barrick et l’or des Andes », Le Devoir, 25 avril 2005.
(5) Idem.
(6) Un récent rapport de la commission environnementale régionale CONEMA, a d’ailleurs exprimé ses craintes au fait que la compagnie manifestait peu de considérations pour les possibilités de pollution en aval et qu’il y avait des incohérences dans les chiffres avancés par la compagnie. WALKER, loc. cit..
(7) Eduardo Galeano. Les veines ouvertes de l’Amérique latine. Plon, Paris, 1981 [1971], p.49.

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