Sunday, September 27, 2009

L’ENVERS DE LA BOURSE DU CARBONE

Le sommet de Copenhague approche à grands pas. Et à mesure que l'échéance se rapproche, ils sont de plus en plus nombreux à en prévoir l'échec. Cette rencontre est pourtant sensée jeter les bases des suites à donner au protocole de Kyoto. Déjà insuffisants en regard des efforts requis, les engagements qu’il renferme ne seront donc fort probablement pas rencontrés dans le temps échu aux pays signataires. Pendant ce temps, contrairement à ce que l'on pourrait croire, au sein des pays qui semblent le plus réceptifs au dialogue les mesures significatives en matière de lutte au réchauffement climatique se font toujours attendre. Et cela est d'autant plus vrai chez nous.

Jusqu'à présent, en fait, malgré les engagements colossaux requis pour endiguer le réchauffement en deça des 2 degrés, il n'y a que deux tendances qui semblent avoir la cote auprès des décideurs publics : les éco-taxes sous la forme d'une taxe sur le carbone et la mise en place de bourses du carbone. Ce sont d’ailleurs les principaux mécanismes mis de l’avant par l’esprit Kyoto. Ils sont pourtant plusieurs à exprimer des doutes sur l’efficacité de telles mesures.

Concernant la taxe, reconnaissons d'entrée de jeu que celle-ci a le mérite de reconnaître le principe du pollueur-payeur. Et l'argent généré par l'application d'une telle taxe pourrait permettre de financer certaines initiatives qui seraient porteuses en matière de développement des énergies renouvelables et d'implantation de mesures d'efficacité énergétique, tout en permettant d'offrir des crédits d'impôts aux entreprises qui auront consentis les efforts nécessaires en matière de reconversion énergétique. Par contre, une telle taxe, dans les faits, ne poserait pas nécessairement de frein à la pollution. Puisqu'une entreprise qui en aurait les moyens pourrait continuer de polluer en s'acquittant de la taxe tant et aussi longtemps que celle-ci n'atteindrait pas un niveau prohibitif. Et comme le rapport de force actuel semble jouer en faveur des gros intérêts privés, il y a fort à parier que pour l'instant les niveaux de taxation sur le carbone seront plutôt timides. Et comme les diverses taxes sur le carbone proposées jusqu’ici ne prévoient pas de progressivité, le prix étant le même pour tout le monde, elles risquent de pénaliser les ménages à faibles revenus et les petites entreprises qui n’ont pas nécessairement les ressources pour assumer une reconversion énergétique. Certains pays ont déjà annoncé leur intention d'instaurer de telles taxes, comme la France qui en prévoit l'instauration pour 2010. Et si elle est accueillie comme un premier pas chez les uns, elle est considérée comme étant une mesure nettement insuffisante chez les autres.

Une bourse pour les affairistes du climat


L'autre avenue importante préconisée par les instances publiques et les milieux d'affaires pour faire face aux changements climatiques est la mise sur pied de bourses du carbone. Voilà une mesure faite sur mesure pour les partisans du libre-marché et qui devrait faire le bonheur des milieux d'affaires. En quoi ça consiste exactement? Comme son nom l'indique, il s'agit d'une bourse, un marché dans lequel on retrouve des vendeurs, des acheteurs et des intermédiaires. Sauf qu'au lieu d'y négocier des actions d'entreprises, on s'y échange des droits et des crédits d'émission de carbone (CO2). Le cadre est généralement celui-ci, à savoir que les gouvernements qui implantent de telle bourse imposent des quotas d'émission de carbone à respecter. Les entreprises qui ne respectent pas ces quotas peuvent alors acheter des droits de polluer aux entreprises qui auront généré des crédits d'émission qu'elles leur vendront. Les défenseurs d'un tel mécanisme affirment que cela aura pour effet de récompenser les "bons" élèves et de pénaliser les "mauvais". Voilà pour la théorie.

Dans les faits, par contre, lorsqu'on y regarde de près, on réalise que nous avons possiblement affaire à une solution empoisonnée. Comme nous l'avons déjà évoqué, les bourses du carbone sont conçues sur mesure pour les affairistes. Comme le souligne le journaliste au Rolling Stone, Matt Taibi, une telle bourse « est simplement une taxe sur le carbone, structurée pour que des intérêts privés ramassent les revenus, au lieu simplement d'imposer un montant de taxe fixe sur la pollution au carbone et d'obliger les producteurs d'énergie polluante à payer pour la destruction qu'ils produisent ». Le mécanisme même de ces bourses est configuré afin de faire fructifier les placements. Comme les gouvernements prévoient de resserrer les quotas avec le temps, donc de limiter les possibilités de pollution, un phénomène de rareté se produira dans lequel les droits de polluer se feront de plus en plus rares, faisant ainsi le bonheur des boursicoteurs. Et qui paiera en bout de ligne cette hausse du coût des permis? Il y a fort à parier que ce seront les consommateurs à qui on refilera la facture afin de ne pas rogner sur les profits.

Il y a tout lieu de croire, aussi, que ces bourses auront peu d'effets significatifs pour limiter la pollution. Tant qu'une entreprise a les moyens de payer, elle peut toujours continuer à polluer. Et avec les quotas, on rend en fait légal un certain degré de pollution. De plus, les bourses ne concernent seulement que le carbone, toutes les autres substances polluantes ne faisant pas l'objet d'un échange. Donc, pas d'incitatifs avec la bourse du carbone pour revoir certaines méthodes de production qui génèrent d’autres formes de pollution.

On peut se demander aussi si une telle bourse constituera un réel incitatif pour revoir les méthodes de production et si les "bons" élèves seront réellement récompensés comme il se doit. Même que chez certains secteurs directement visés par les mesures de réduction des gaz à effet de serre on se questionne sur l'efficacité d'un tel mécanisme. Comme le soulignait en 2008 le président de l'Association canadienne du gaz, Michael Clelane : « Je rejette l'idée qu'une bourse soit plus équitable que la taxe. Au contraire, si vous avez amélioré votre efficacité dans le passé, alors vous consommez moins d'énergie, alors vous serez moins soumis à une éventuelle taxe ».

L'instauration d'une bourse du carbone suppose aussi qu'on puisse évaluer monétairement le coût de la pollution et corriger ce qu'on appelle les externalités négatives, à savoir ces coûts - souvent sociaux et environnementaux - qui ne sont pas comptabilisés dans l'échange marchand traditionnel. Et il y a tout lieu de croire que le prix du marché sera en deça du réel coût - qui au demeurant est difficilement quantifiable.

Finalement, c'est peut-être la logique même qui sous-tend la bourse du carbone qui amène certaines personnes à croire qu'elle ne constitue pas une réponse appropriée au défi climatique. C'est que la bourse du carbone relève de cette logique du tout-marché, présentée comme seule mesure régulatrice des échanges économiques et qui fait de la marchandisation du monde son leitmotiv. Cette logique a démontré plus d'une fois, au cours des trente dernières années, ses effets néfastes.

Malgré tout, on semble vouloir aller de l'avant coûte que coûte avec la bourse du carbone. Plusieurs États européens en sont munis. Le Québec n'y fait pas exception, l'Assemblée nationale ayant adopté à l'unanimité au printemps 2009 la loi 42 qui a mis sur pied une bourse du carbone, en vigueur depuis mai 2009. Bien que pour l'instant les échanges y soient plutôt modestes, les perspectives sont plutôt alléchantes pour quiconque entend y faire des affaires. Toujours selon Matt Taibi, « l'avenir des banques d'affaires repose sur les crédits de carbone. Il s'agit d'un marché dans les trillions de dollars qui existe à peine présentement mais qui existera si le Parti démocrate états-unien, qui a reçu 4 452 585$ des lobbys pro-bourse du carbone durant la dernière élection, parvient à faire naître une nouvelle bulle spéculative de matière première, déguisée en programme environnemental nommé "échange de crédit de carbone"».

Les pressions sont donc fortes sur les élus. Beaucoup d'argent est investi pour vendre les bienfaits de l'instauration d'une bourse du carbone. Les appuis en faveur de cette bourse viennent aussi de plusieurs environnementalistes et personnes de marque, que ce soit Steven Guilbault au Québec, Nicolas Hulot en France, ou Al Gore aux États-Unis. On se souviendra d’ailleurs comment l'ancien aspirant à la Maison blanche avait été reçu par La Presse pour parler de lutte aux changements climatiques. Ce type de conférence que donne Gore, moyennant un cachet entre 100 000 et 175 000$, lui a permis, avec les profits ainsi générés, de fonder, avec trois anciens hauts dirigeants de la banque d'affaires Goldman Sachs, la société General Investment Management. L'objectif de la société? Investir dans les crédits de carbone...

Le train semble bien en marche en ce qui a trait à la mise sur pied de bourses du carbone et il est difficile d'entrevoir à court terme un infléchissement de la tendance. En comprendre les rouages pourrait cependant être un premier pas pour quiconque veut appréhender les réels effets escomptés de ce type de mesure. Alors, la bourse du carbone? Un outil efficace pour juguler les effets des changements climatiques? Rien n'est moins sûr. Même que, si l'on s'en remet à l'opinion qu'en émettait l'éminent climatologue James Lovelock dans un entretien accordé au New Scientist, ça ne changera absolument rien dans notre objectif de limiter la prolifération des gaz à effet de serre. Voilà de quoi nous faire méditer...

Source
http://www.alternet.org/environment/141081/the_dark_side_of_climate_change%3A_it's_already_too_late%2C_cap_and_trade_is_a_scam%2C_and_only_the_few_will_survive/
http://www.pressegauche.org/spip.php?article2346
http://www.lautjournal.info/default.aspx?page=3&NewsId=1715

0 Comments:

Post a Comment

<< Home